D’un travail de quartier à un projet d’éducation au développement
Du « Coron » au « Village du Monde »
1984L’asbl Le Coron voit le jour à Cuesmes,
dans le Borinage, au cœur d’une Zone d’Education Prioritaire (ZEP). A
cette époque, la région de Mons-Borinage est touchée de plein fouet par la
crise économique. Les derniers charbonnages ont fermé leurs portes depuis le
début des années soixante. Avec la fermeture des Laminoirs de Jemappes (1983)
la sidérurgie s’est également éteinte. Et surtout les entreprises
nouvelles, souvent multinationales, qui devaient former le fer de lance
de la reconversion économique connaissent elles-mêmes des
difficultés qui se traduisent par une série de fermetures au cours des
années septante : Farah, Siemens, Salik, Warner etc… La région connaît à
cette époque le taux de chômage le plus élevé du pays.
Sur le plan social, outre le chômage, la pauvreté croissante
se reconnaît dans la situation désastreuse du parc de logements
(vieillissement, insalubrité), le décrochage scolaire, l’exclusion sous
toutes ses formes.
Mons-Borinage est une région de vieille immigration.
Des milliers de travailleurs italiens, en particulier siciliens, ont
été occupés dans les mines de charbon, surtout depuis la seconde guerre
mondiale. Dans les années soixante, le patronat a fait appel à
l’immigration turque, également employée dans les dernières mines encore
en activité (Hensies) avant de former le gros de la main d’œuvre ouvrière
de certaines entreprises connues pour la dureté de leurs conditions de travail
(l’usine de verre Durobor de Soignies, par exemple) . La proximité de la
frontière française explique également la présence d’un nombre important de
personnes d’origine algérienne. Actuellement, un habitant sur cinq est
issu de l’immigration.
C’est dans ce contexte que l’asbl Le Coron voit le
jour dans un quartier populaire de Cuesmes afin de répondre à des demandes
d’aide de familles immigrées, surtout turques, concernant la scolarité de
leurs enfants. Au départ, l’association a donc été constituée sur une base
volontaire afin de mettre à la disposition des habitants du quartier une
école de devoirs touchant essentiellement des enfants de 6 à 12 ans.
L’ouverture au public a été précédée d’une phase de
réhabilitation d’un ancien bâtiment public laissé à l’abandon par les autorités
communales et devenu un véritable chancre au cœur du quartier. Cette
réhabilitation du site dit du “Cerisier” a été menée à l’initiative
et en partenariat avec une autre association, le Théâtre des Rues ,
active dans le domaine du Théâtre-Action et qui donnera quelques années
plus tard naissance aux “Editions du Cerisier” spécialisée dans l’édition
de littérature ancrée dans la réalité sociale .
L’équipe de départ, constituée d’un sociologue, d’une
assistante-sociale et d’enseignants était très sensible à la dimension
pédagogique du projet. Les difficultés dans le parcours scolaire, voire le
décrochage dans certains cas, n’étaient pas seulement à mettre en rapport avec
les caractéristiques du public: élèves issus de milieu populaire,
majoritairement d’origine immigrée. L’école elle-même n’était absolument
pas adaptée au profil de ces enfants, une réalité mise à jour par de nombreuses
études sociologiques (voir les recherches de Pierre Bourdieu sur le concept
de “reproduction”) et très vite corroborée par quelques mois de pratiques
pédagogiques dans le quartier.
Avec des moyens
dérisoires
dans un premier temps,
les animateurs ont cherché
à appréhender les enfants
dans leur globalité Aussi l’équipe a essayé de dépasser le cadre de l’aide scolaire au sens strict pour déborder sur une pratique pédagogique plus large en proposant des ateliers d’expression et de créativité.
dans un premier temps,
les animateurs ont cherché
à appréhender les enfants
dans leur globalité Aussi l’équipe a essayé de dépasser le cadre de l’aide scolaire au sens strict pour déborder sur une pratique pédagogique plus large en proposant des ateliers d’expression et de créativité.
Il ne s’agissait pas seulement d’élèves confrontés
à des difficultés d’apprentissage scolaire mais aussi d’enfants avec leur
imaginaire propre, leur créativité, d’enfants de parents venus d’ailleurs à la
croisée de deux cultures, de deux langues, de deux mondes, d’enfants de travailleurs
ou d’allocataires sociaux avec des expériences et une maturité propres.
Bref, l’équipe était convaincue, à la suite de Célestin Freinet et de
tant d’autres précurseurs de ce que l’on a appelé “l’Ecole Nouvelle”,
qu’il fallait prendre en compte ces différentes dimensions si l’on voulait
mener une action éducative avec quelques chances de succès.
Quels ateliers l’équipe du Coron a-t-elle proposé pour compléter son dispositif éducatif ?
Des activités et ateliers créatifs les plus divers ont
été proposés. L’objectif prioritaire était toujours de permettre à
l’enfant de mieux comprendre son environnement (immédiat ou plus large),
sa propre histoire et de lui fournir des moyens lui permettant, à terme, d’agir
sur celui-ci. Il s’agissait donc de former pour comprendre et pour agir. Cette liaison
entre la connaissance et l’action est une constante dans la pratique du
Coron. Elle aiguillera toute l’évolution du projet, y compris dans le domaine
de l’éducation au développement.
A titre d’exemple, nous pouvons mentionner la création d’une
maquette du quartier, l’aménagement d’un terrain d’aventures sur le site du
Cerisier, la réalisation d’un montage audio-visuel et d’un livre illustré sur
l’arrivée des premiers immigrés italiens, turcs et arabes dans la
commune, la production d’un spectacle de théâtre de marionnettes sur le passé
des collectivités locales, la réalisation d’un théâtre et d’un livre sur la
guerre et la paix (à partir de la première “ Intifada ” en Palestine)
.
Une dimension
internationaleParallèlement les animateurs visaient également à intéresser et concerner les enfants et les jeunes du quartier à des campagnes nationales centrées sur la lutte contre le racisme ou la solidarité internationale comme la campagne 11.11.11 du CNCD. Petit à petit cette dimension internationale est devenue plus présente: pour comprendre ce qui se passe dans son quartier, il faut aussi s’ouvrir à l’extérieur.
internationaleParallèlement les animateurs visaient également à intéresser et concerner les enfants et les jeunes du quartier à des campagnes nationales centrées sur la lutte contre le racisme ou la solidarité internationale comme la campagne 11.11.11 du CNCD. Petit à petit cette dimension internationale est devenue plus présente: pour comprendre ce qui se passe dans son quartier, il faut aussi s’ouvrir à l’extérieur.
Tout est interdépendant : si l’on se retrouve, enfant
d’immigré, confronté à des difficultés d’insertion scolaire, n’est-ce pas aussi
parce qu’un jour les rapports d’inégalité et les rapports de force entre
pays et entre classes ont fait que des employeurs, épaulés par des
pouvoirs publics, ont été recruter dans des pays plus pauvres une main
d’œuvre meilleur marché et moins revendicative ? Et que, le taux de
vieillissement de la population aidant, les autorités ont délibérément
encouragé l’immigration des familles comme en témoignent les nombreux documents
“publicitaires” d’époque vantant les qualités du modernisme dans
notre pays ?
L’équipe du Coron est donc entrée en contact avec la
problématique de “l’éducation au développement” à partir d’une longue
pratique pédagogique et sociale au cœur d’un quartier populaire. Très vite
l’équipe a perçu que, pas plus que l’école, le monde des ONG
n’était réellement adapté au public d’enfants de milieu populaire comme
celui qui fréquentait nos ateliers et notre école de devoirs depuis quelques années.
Pour parler simple, la plupart des documents, des vidéos et expositions sur le
développement nous semblaient passer au-dessus de la tête des enfants.
Les animateurs ont donc cherché des moyens pour aborder de façon concrète
la réalité des rapports Nord-Sud . Ils ont organisé des rencontres avec
des enfants réfugiés, avec un groupe de jeunes Saharouis, avec des volontaires
d’ong venant témoigner sur place. Mais surtout ils ont lancé le projet de
création de structures évoquant l’habitat des pays d’origine des enfants, ce
qui allait devenir quelques années plus tard le Village du Monde.
La première reconnaissance comme ONG
Une dizaine de structures
évoquant l’habitat
de peuples du SudSur le terrain, jadis terrain vague, attenant aux locaux de l’asbl, l’équipe a construit, avec les enfants et les jeunes du quartier fréquentant les ateliers, une dizaine de structures évoquant l’habitat de peuples du Sud. Les premières constructions étaient la maison turque et la maison d’Afrique du Nord dont les plans avaient été réalisés sur base de photos amenées par les familles des enfants.
évoquant l’habitat
de peuples du SudSur le terrain, jadis terrain vague, attenant aux locaux de l’asbl, l’équipe a construit, avec les enfants et les jeunes du quartier fréquentant les ateliers, une dizaine de structures évoquant l’habitat de peuples du Sud. Les premières constructions étaient la maison turque et la maison d’Afrique du Nord dont les plans avaient été réalisés sur base de photos amenées par les familles des enfants.
Puis, au cours des ans, ont suivi deux habitations
d’Afrique Noire, un bidonville, un camp de réfugiés, une habitation
d’Amazonie, une maison détruite par la guerre, une cale de bateau
négrier, une galerie souterraine de mine.
La mise en œuvre de ces constructions a été l’occasion de
nombreux échanges souvent très riches entre les enfants et les jeunes du
quartier et des jeunes venus de l’étranger dans le cadre de chantiers de
travail d’été organisés par l’ong le Service Civil International.
Né de façon empirique, à partir de l’évolution d’un travail
de quartier, le projet du Village du Monde s’est rapidement ouvert
sur l’extérieur puisque dès 1994 quelques dizaines de classes, d’associations
(écoles de devoirs, associations de jeunesse, ateliers créatifs) venues des
quatre coins de la Communauté Française participaient à des visites-animations
du site. Notons qu’à côté du Village proprement dit, les locaux de l’asbl
permettent d’organiser des formations, des animations ou des projections qui
constituent autant d’outils enrichissant l’activité.
1996:
ONGC’est par le Village du Monde que l’asbl Le Coron est entrée de plain-pied dans le monde de l’éducation au développement. Subventionnée précédemment exclusivement comme Centre d’Expression et de Créativité (Communauté Française – secteur des CEC) et comme école de devoirs (Région Wallonne – secteur Intégration Sociale des Immigrés), l’asbl a bénéficié en 1993, 1994 et 1995 d’une subvention pour action “occasionnelle” de l’AGCD avant d’être reconnue en 1996 comme ONG d'Education au Développement.
ONGC’est par le Village du Monde que l’asbl Le Coron est entrée de plain-pied dans le monde de l’éducation au développement. Subventionnée précédemment exclusivement comme Centre d’Expression et de Créativité (Communauté Française – secteur des CEC) et comme école de devoirs (Région Wallonne – secteur Intégration Sociale des Immigrés), l’asbl a bénéficié en 1993, 1994 et 1995 d’une subvention pour action “occasionnelle” de l’AGCD avant d’être reconnue en 1996 comme ONG d'Education au Développement.
En 1998, elle a formé avec le Service Civil
International et Miel Maya Honing le regroupement “Actions
et formations Nord-sud”.
De 2003 à 2007, Le Coron/Le Village du Monde a
participé au regroupement «M'BOLO» avec les ONG «Bevrijde
Wereld» et «De Wereldschool».
De 2008 à 2013, l'ONG participe au programme M'Bolo sous la
direction de l'ONG-leading «Bevrijde Wereld/Terre Nouvelle» de Sint
Niklaas.
2014En 2014, l'ONG est intégrée au programme éducation au
développement de Broederlijk Delen, avec, entre autres, Studio Globo.
Depuis, Le Coron/Le Village du Monde s’est
spécialisé dans la création de programmes éducatifs pour les élèves de
l’enseignement fondamental. Aujourd’hui, l’ONG propose trois ateliers
d’immersion touchant tous les niveaux de l’école primaire. Ces
ateliers sont axés sur deux problématiques : les rapports d’inégalité
Nord-Sud (à travers le parcours matières premières/produits finis) et les
migrations (en tant que conséquence du clivage pays riches/pays pauvres).
L’ancrage social n’est pas anodin: qui
pourrait mieux comprendre l’injustice faite aux peuples du Sud que ceux qui
vivent au Nord les mêmes difficultés liées à la toute puissance du système
économique dominant?
Le Coron/Le Village du Monde mène une action
réellement spécifique dans la mesure où cette action reste à la fois éducative
et artistique, sociale. Plus qu’une juxtaposition, il y a interaction
constante entre ces trois pôles. Ce sont des enfants et des jeunes,
majoritairement de milieu populaire et immigré, qui réalisent des
produits (peintures, statues, décorations, expositions, films-vidéos, films
d’animation, spectacles etc….) qui prennent tout leur sens dans le cadre
du Village du Monde en tant qu'outils et supports pédagogiques pour entamer une
action éducative avec d’autres enfants.
2017Début 2017, comme 20% des ong, le Coron/Le Village du Monde perd son
agrément suite à la réforme menée par la DGD (Direction Générale
de la Coopération au Développement) visant à « professionnaliser »
le secteur c'est-à-dire à imposer un mode de fonctionnement calqué
sur le fonctionnement du secteur marchand.
Sont évalués prioritairement les
modes de gestion administrative, financière, gestion des risques,
gestion des processus, gestion des partenariats, gestion de la
gestion....
Un screening est réalisé par la
firme Deloitte, une multinationale de la consultance épinglée pour sa contribution à l'évasion fiscale à
grande échelle !
Ce screening n'a aucunement permis
d'évaluer la qualité du travail éducatif mené au jour le jour
depuis plus de vingt ans.
Les conséquences sont lourdes:
- diminution des subventions de moitié
- diminution du nombre d'emplois :
deux équivalents temps plein perdus sur un total de 5 ETP/
animateurs (correspondant à 4 postes de travail mi-temps financés
par les subventions comme ong)
- risque de diminution du nombre de
travailleurs sous contrat APE (la règle prévoit que, sauf
dérogation, le maintien du nombre d'emplois APE dépend du maintien
du volume global de l'emploi)
- impossibilité de maintenir en l'état
le secteur « activités éducatives à la citoyenneté
mondiale ».
Pour info ce secteur a concerné en 2016, 92 activités (ateliers d'immersion et ateliers en classe) touchant des dizaines de classes des écoles fondamentales de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pour info ce secteur a concerné en 2016, 92 activités (ateliers d'immersion et ateliers en classe) touchant des dizaines de classes des écoles fondamentales de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
- risque d'effet domino sur les autres
secteurs d'activités comme le CEC (Centre d'Expression et de
Créativité) : voir ci-dessous le point concernant la
spécificité de l'expérience menée au VM.
Malgré ces difficultés, l'équipe est bien décidée à tout faire pour oeuvrer à la survie de l'association et ses spécificités, par tous les moyens nécessaires ("by any means...").